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Comment l’Australie a réduit les coûts (et l’influence) des cabinets de conseil

Par Emmanuel JOSSERAND - Andrew STURDY - - | Edition N°:6966 Le 10/03/2025
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Emmanuel Josserand est enseignant-chercheur, Pôle Léonard de Vinci

Andrew Sturdy est Chair in Organisation and Management, University of Bristol

L’ère post-Covid a été marquée par une critique des dépenses publiques en direction des cabinets de conseil internationaux. Ce phénomène n’a pas seulement concerné la France, où l’épisode du McKinsey Gate, au tournant de la première présidence Macron, a marqué les esprits et conduit à une enquête sénatoriale, puis à une réduction des dépenses. Mais la France n’a pas été le seul pays à avoir été concerné. Dans de nombreux pays, dont le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Allemagne et l’Afrique du Sud, une séquence comparable a eu lieu avec des débats publics, des commissions d’enquête et de nouvelles législations. L’Australie a été particulièrement active et a réalisé d’importantes économies quant à ses dépenses de consultants et de main-d’œuvre externe. Voici comment ils ont fait, mais jusqu’où le processus ira-t-il?

Trois milliards de dollars  d’économies

Pour comprendre pourquoi le recours aux consultants externes est devenu une question très politisée en Australie, il faut remonter au moins aux élections fédérales de 2018. Le gouvernement d’alors (une coalition de droite) se concentrait sur la réduction des dépenses publiques et réduisait les emplois publics. L’argument de l’opposition travailliste était que cela conduisait à l’utilisation plus coûteuse de consultants.

La controverse s’est poursuivie jusqu’aux élections fédérales de 2022, où un gouvernement travailliste nouvellement élu s’est engagé à économiser 3 milliards de dollars australiens (soit environ 1,9 milliard d’euros) sur les consultants et l’utilisation de main-d’œuvre externe. Cette politique a aussi été menée au niveau régional. Pour ne prendre qu’un exemple, l’État de Nouvelle-Galles du Sud a annoncé des économies de plus de 55% sur les honoraires des consultants durant l’exercice 2023-2024. Le cas australien met en évidence quatre raisons principales pour justifier une réduction des coûts de conseil, ainsi qu’une gouvernance plus efficace – des raisons que l’on retrouve dans les autres pays concernés.

Premièrement, l’augmentation spectaculaire des dépenses de consultants du gouvernement a attiré l’attention. En Australie, ces dépenses ont quasiment triplé entre 1988-1989 et 2016-2017 (après ajustement pour tenir compte de l’inflation), puis a triplé à nouveau pour atteindre 3,2 milliards de dollars pour les seuls services de conseil en gestion en 2022-2023. Il est vraisemblable que ces coûts soient bien plus élevés que ce qui serait justifié par une augmentation temporaire de la charge de travail ou la nécessité d’une expertise technique très spécifique, même en tenant compte du cas exceptionnel de Covid.

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Les Lions de l’Atlas réussissent l’exploit inédit d’être admis dans le carré final de la Coupe du monde  (Ph. L’Economiste)

 

Deuxièmement, et c’est connexe, il y a la question de «l’évidement» de la fonction publique. L’augmentation du recours aux consultants peut déclencher un cercle vicieux où le gouvernement perd ses compétences, devenant ainsi encore plus dépendant des consultants. C’était l’argument central d’une critique récente d’un collectif d’économistes appelé The Big Con.

Troisièmement, il y a des raisons de douter de l’efficience et de l’efficacité globales des interventions des consultants, surtout en l’absence d’une évaluation appropriée des résultats du service fourni par les clients. Malgré les affirmations des consultants et de leurs clients, selon lesquelles le conseil apporte une valeur ajoutée, il est souvent impossible d’établir avec précision l’impact des interventions et donc d’en attribuer le mérite ou la responsabilité. Au-delà de la comparaison des taux de rémunération, il est difficile de savoir si les options internes seraient plus efficaces que le recours à des consultants externes. Pourtant, au niveau global, la recherche donne une image très mitigée, certaines montrant que la consultation externe est associée à une inefficacité accrue.

D’importants conflits d’intérêts

Enfin, la capacité des consultants à fournir des conseils indépendants a été largement critiquée après une série de scandales. Cela s’explique en partie par des conflits d’intérêts pour les consultants ayant à la fois des clients des secteurs public et privé; d’autant plus que ces conflits d’intérêts n’étaient que rarement déclarés. Cette préoccupation est devenue particulièrement saillante en Australie avec le scandale fiscal du cabinet Price Waterhouse Cooper (PwC). Le Trésor avait engagé le cabinet PwC pour l’aider à élaborer une législation visant à limiter l’évasion fiscale des multinationales. Certains associés de PwC ont ensuite partagé cette information avec leurs clients du secteur privé pour les aider à se préparer aux nouvelles lois. De tels cas sont liés à des préoccupations plus larges concernant le manque de transparence et de professionnalisme dans le conseil et l’échec de l’autorégulation. Ces deux défauts sont liés à un système de récompense dans le conseil qui privilégie la génération de revenus d’honoraires plutôt que l’éthique et l’intérêt public au sens large. Dans un tel contexte, l’Australie était confrontée à une pression importante pour réduire les dépenses de cabinets de conseil. Mais en raison des capacités réduites de la fonction publique, ces compressions de dépenses risquaient d’entraîner l’incapacité du service public à remplir ses missions.

Une enquête récente du Sénat sur la question a fourni des recommandations sur la façon d’améliorer le processus de passation de marchés, la production de rapports publics systématiques sur les contrats de prestation de conseil et un nouveau cadre réglementaire pour l’industrie du conseil. Il a également recommandé que tout contrat prévoyant le recours à des prestataires externes de conseil comprenne une approche de transfert de connaissances à la fonction publique australienne. Cependant, ces mesures ne suffisaient pas pour reconstituer la capacité de la fonction publique de compenser les coupes importantes dans ses dépenses de conseil et de sous-traitance. Pour résoudre cette tension, le gouvernement australien a entamé une importante reconstruction de la fonction publique.

                                                           

Des propositions fortes du Sénat australien

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Depuis 2022, Canberra a réattribué aux fonctionnaires de tous les grands organismes de la fonction publique 8.700 postes qui étaient auparavant occupés par des consultants ou des sous-traitants. Cela sera soutenu par la stratégie de la Commission australienne de la fonction publique visant à développer une main-d’œuvre flexible prête à relever les défis futurs auxquels la fonction publique sera confrontée, notamment celui de la numérisation, un domaine qui a été trop dépendant des consultants.

Une autre initiative intéressante dans l’État de Nouvelle-Galles du Sud est la création d’une nouvelle unité qui vise à réorienter les agences gouvernementales vers une expertise interne plutôt que vers des consultants. En effet, les unités internes de conseil sont courantes dans le secteur privé. Le gouvernement entreprend également une planification à long terme des capacités et des compétences, notamment afin de déterminer les compétences de base de la fonction publique et de combler les lacunes ainsi observées. La solution australienne est donc un engagement fort à redévelopper la fonction publique avec une approche souple et planifiée de la gestion de ses ressources humaines. Il s’agit d’un élément clé de la voie à suivre si l’on veut que les coupes dans les budgets de consultation soient maintenues. Il est toutefois trop tôt pour juger si le pari de redévelopper les effectifs de la fonction publique, tout en la rendant plus flexible, sera gagné par le gouvernement australien. Nous devons également garder à l’esprit que cet objectif à long terme est sujet aux éventuels changements politiques. La promesse de l’actuel chef de l’opposition de supprimer 10.000 postes de fonctionnaires, en cas de succès aux élections fédérales de 2025, remettrait en cause les efforts récents. Résultat: les plans du Parti travailliste pour la main-d’œuvre publique pourraient ne pas faire long feu. En effet, en Australie et ailleurs, il y a une longue histoire d’efforts gouvernementaux de courte durée et infructueux pour contenir le recours à des consultants externes. C’est en partie à cause du manque de capacités de la fonction publique à répondre au changement, mais aussi parce que les cabinets de conseil sont habiles à persuader ceux qui sont au pouvoir – politiciens et hauts fonctionnaires - qu’ils peuvent résoudre leurs problèmes (et leur laisser s’en attribuer le mérite).

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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